samedi 28 avril 2012

Les maîtres du cinéma coréen


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Les maîtres du cinéma coréen

La sortie du Mother de Bong Joon-ho est l'occasion de dresser un état des lieux de la production cinématographique coréenne contemporaine. Et force est de constater que de la vitalité, ce cinéma n'en manque pas. Nous avons choisi les sept cinéastes qui nous semblaient les plus incontournables, parce que depuis Im Kwon-taek, le Pays du matin calme n'a pas fini de s'éveiller...

1. Im Kwon-taek

2. Lee Chang-dong

3. Park Chan-wook

4. Bong Joon-ho

5. Kim Ji-woon

6. Kim Ki-duk

7. Hong Sang-soo

« Les maîtres du cinéma coréen »

Im Kwon-taek

Ivre de femmes et de peinture - Im Kwon-taek Im Kwon-taek a entamé sa carrière de cinéaste il y a plus de quarante ans et compte 100 films à son actif. Il est l'un des rares réalisateurs sud-coréens dont les œuvres connaissent un succès aussi important dans son pays que dans le reste du monde.

Sa famille, originaire de Kwangju, a été ruinée par la guerre de Corée et Im Kwon-taek passe une grande partie de son adolescence dans la rue, avant de partir pour la ville de Pusan. Il exerce quelques petits métiers, puis est engagé dans une usine de recyclage de bottes de l'armée américaine en chaussures pour civils. Lorsque l'entreprise qui l'emploie décide de se tourner vers l'industrie cinématographique, il devient coursier, puis assistant réalisateur.

En 1956, Im Kwon-taek s'installe à Séoul. Le réalisateur Chung Chang-Hwa lui offre un emploi d'assistant de production en échange d'un logement. Cinq ans plus tard, Chung le recommande comme réalisateur, et en 1962, Im Kwon-taek réalise son premier long métrage, Adieu fleuve Duman. Il signera par la suite une cinquantaine de films de série B de genres extrêmement variés : films de guerre, policiers, films d'action, films en costumes…
Au début des années 70, il s'oriente vers des films plus personnels, notamment avec Généalogie d'un crime. Dans les années 80, ses œuvres commencent à connaître un certain succès à l'étranger à travers divers festivals internationaux.

Désormais considéré comme l'ambassadeur du cinéma coréen dans le monde, d'Im Kwon-taek voit son succès dans son pays – il y a remporté tous les prix existants – se doubler d'une belle carrière internationale. Ainsi, en 1993, La Chanteuse de Pansori reçoit les Prix de la meilleure actrice et du meilleur réalisateur au Festival de Shanghai. Ce film reste l'un des plus gros succès critiques et commerciaux coréens et le film coréen le plus couronné à ce jour, avec 27 prix nationaux et trois prix internationaux.

En 2002, Im Kwon-taek connaît la consécration avec Le Chant de la Chunhyang, l'histoire d'un amour impossible dans la Corée du XVIIIe siècle. Avec son portrait d'un peintre coréen du XIXe siècle, personnage aussi rebelle que paillard, dans Ivre de femmes et de peinture, il obtient le Prix de la mise en scène à Cannes en 2002. En novembre 2002, Im Kwon-taek a également été décoré de la médaille d'or Fellini de l'Unesco. En 2004, il réalise La Pègre, avec Cho Seung-woo, Kim Min-Sun et Kim Hak-jun. Quatre ans après il signe son 100e film avec Souvenir, qui revient sur l'histoire des personnages de La Chanteuse de Pansori.

 

Im Kwon-taek

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Im Kwon-taek : Je me souviens

  • Im Kwon-taek : Je me souviensCe grand maître du cinéma coréen ne fut véritablement découvert en Occident qu’à la fin des années 80 avec La Mère porteuse puis La Chanteuse de Pansori, mais aussi Ivre de femmes et de peinture, qui lui permit de remporter le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes en 2002. Et pourtant, Im Kwon-taek, véritable stakhanoviste de 72 ans, fête déjà, avec Souvenir, son centième film. Retour sur une carrière unique et sur son nouvel opus, un mélodrame musical et bouleversant.


  • Par Xavier Leherpeur (21/07/2008 à 07h52)
Comment êtes-vous devenu cinéaste ?
Lorsque la guerre de Corée a pris fin, j’avais trouvé refuge à Pusan en Corée du Sud, qui était alors la capitale provisoire. J’avais jusque-là accumulé différents petits emplois, en particulier en tant qu’ouvrier, et je me trouvais à l’époque sans emploi. Je connaissais à cette époque quelqu’un qui se lançait dans la production de films. Il m’a demandé de l’aider sur ses films et j’ai accepté cette offre dans le seul but de survivre. C’était en 1956. Inutile de vous dire que je ne connaissais rien au cinéma, que je n’y portais d’ailleurs à cette époque aucun intérêt. C’était juste un boulot alimentaire dans l’espoir de ne pas mourir de faim. En fait, c’est en travaillant auprès de Chang-hwa Jeong, qui réalisera quelques années plus tard La Main de fer, et en étant son assistant, que j’ai commencé à éprouver de l’intérêt pour ce média. Je me suis vite amusé et ai appris les ficelles de ce métier sur le tas. Et j’ai compris que cette rencontre avec le cinéma, qui s’était faite par le plus grand des hasards, était en fait une très grande chance pour moi, en me permettant de découvrir chez moi cette passion pour les films, que je ne soupçonnais pas jusque-là. Sans doute parce que, auparavant, aller voir un film en tant que simple spectateur était un luxe que je ne pouvais pas m’offrir.
Vous avez réalisé à ce jour exactement cent films. Un véritable exploit.
J’ai débuté ma carrière en 1961 et, onze ans plus tard, j’avais déjà mis en boîte plus de cinquante films, des longs-métrages que j’avais réalisés uniquement pour me nourrir (rires). En fait, le premier que j’ai mis en scène a plutôt bien marché en termes d’entrées, et du coup les commandes ont afflué. Mais je n’avais alors aucune notion qualitative et l’idée de faire «un bon film» pour la postérité ou de «mission cinéphilique», que je pourrais avoir aujourd’hui, ne m’effleurait absolument pas. Je me laissais complètement aller. Le temps passait et la liste de films s’allongeait sans but précis. C’est pour cela qu’aujourd’hui, de ces 50 films, j’en ai vraiment honte (rires). Mais je crois qu’avec le recul, ils ont servi d’une certaine manière de base à mon univers et m’ont permis de m’améliorer (rires). Je me suis vraiment essayé à tous les styles : la comédie, le film en costumes, de guerre, de genre, le mélodrame… Ça partait un peu dans tous les sens. D’abord parce que cela m’ennuyait de rester tout le temps dans le même registre et en même temps, j’espérais ainsi trouver le genre dans lequel j’excellerais, et trouver alors ma voie. Mais c’est sans doute sur les tournages de Chang-hwa Jeong, grand maître de films d’action et pionnier du genre, que j’ai le plus appris en termes de découpage et de montage. Pour le reste c’est surtout en regardant pas mal de films occidentaux, américains et européens, que j’ai élargi mes connaissances et finalisé mon apprentissage.
Vous déclarez à propos de Souvenir que vous n’aviez jamais fait de films sur l’amour jusque-là. En cent films, est-ce vraiment un sujet auquel on peut échapper ?
(rires). Dans les années 60, j’ai tenté de réaliser quelques films qui pouvaient s’apparenter à cela. Des romances que même mes plus proches amis m’ont immédiatement conseillé d’arrêter de mettre en scène, car ils les trouvaient très maladroites et très bancales. Et comme à cette époque, je n’avais effectivement pas encore connu de grande passion, je me suis dit qu’il fallait mieux ne pas parler de sentiments que je ne connaissais pas. Et du coup, c’est un thème que je n’ai plus vraiment mis en avant.
Le Pansori est au cœur de Souvenir. Il en est presque le personnage principal. Pour autant vous ne cédez jamais au piège du pittoresque pour le filmer.
C’est un chant dont l’apprentissage est à la fois long et difficile. On dit même que les auditeurs qui apprécient pleinement cet art chanté sont eux-mêmes des «maîtres de l’oreille». L’Unesco l’a d’ailleurs classé au patrimoine culturel mondial. Donc c’est d’autant plus difficile pour un public néophyte de pouvoir être sensible aux moindres variations complexes du Pansori. Et même en Corée, où cet art évoque de moins en moins quelque chose aux jeunes générations... Tout l’enjeu dans ce film était donc d’essayer de rendre ce chant brillant. Je me demandais tout le temps comment en transmettre la beauté mais surtout le mystère, l’énergie qu’il dégage, sa force et sa joie. Et ce le plus simplement possible, à la fois pour un public coréen mais aussi international.
Filmer le chant ou toute forme artistique est presque une gageure. Il faut mettre en scène l’intime, l’indicible, le sublime.
C’est vrai. C’est pour cela que j’ai essayé de créer un son qui puisse être vu et une image qui puisse être écoutée. Il me fallait chercher et mettre en scène une harmonie entre les deux qui puisse aider le public à avoir un accès plus facile à cet art vocal, à être touché et à en ressentir les émotions les plus profondes. Ce n’est pas possible si je me cantonne au pittoresque ou au folklorique, car il manquera cette dimension émotionnelle centrale. J’ai préféré essayer de montrer les sentiments les plus profonds, et en particulier la douleur que l’on éprouve lorsque l’on chante le Pansori. Il fallait parvenir à filmer cette vérité. C’est d’ailleurs loin d’être facile et c’est ce qui m’a poussé à m’y intéresser déjà par deux fois ( La Chanteuse de Pansori en 1993 et Le Chant de la fidèle Chunhyang en 2000) et d’y revenir encore, parce qu’à chaque fois je restais avec la sensation de ne pas être complètement parvenu à le mettre en scène.
Que ce soit dans Ivre de femmes et de peinture ou même dans La Pègre, votre précédent film, vos héros ont un rapport à l’art tumultueux, passionnel et même sacrificiel… Est-ce pour vous une façon d’évoquer votre propre rapport à l’art ?
Que ce soit par l’art ou par l’intermédiaire d’un autre vecteur, la vie de chaque être humain est une sorte de quête continuelle de la formation de soi, de ce que l’on est réellement. Et mes personnages principaux évoluent à chaque fois dans la douleur et la difficulté. Ils se battent contre ou avec la souffrance, tout en essayant de développer ou de chercher quelque chose d’eux-mêmes dans le chant ou la peinture, par exemple. Est-ce que cela me décrit ou révèle une partie de ce que je suis ? Je ne saurais pas l’affirmer, car j’ai tout de même l’impression de moins souffrir qu’eux. Je n’ai malheureusement pas acquis ce stade ultime de douleur dans la création et je crains d’en être assez loin. (rires) Et c’est sans doute pour combler ces lacunes que je transmets cela à mes héros qui souffrent à ma place.
 

Lee Chang-dong

Secret Sunshine - Lee Chang-dongSans conteste le réalisateur le plus respecté du cinéma coréen (avec Im Kwon-taek), Lee Chang-dong est originaire de la très industrielle ville de Daegu et mène un parcours assez éclectique avant d'arriver au cinéma. Homme de lettres avant tout, il est d'abord professeur au secondaire. Passionné d'écriture, la publication de romans dans les années 1980 le consacre comme écrivain en Corée du Sud. Il gravit une marche de plus avec l'écriture de scénarios pour des cinéastes coréens, puis saute le pas de la réalisation une fois pour toutes à l'âge de 40 ans.

Déjà, dans les scénarios comme L'Ile étoilée, filtrent certains thèmes récurrents chez Lee Chang-dong : le spectre de la guerre de Corée comme obstacle à la réconciliation humaine. Avec Green Fish, c'est la cruauté des changements brutaux dans la société qui est contée avec la descente dans l'enfer de la mafia d'un jeune homme sans travail après son service militaire. Grâce au film, Lee Chang-dong obtient un succès critique, qui lance sa réputation. Mais c'est Peppermint Candy en 2002, qui assoit son statut de réalisateur. Dépeignant l'oppression de la société durant la dictature des années 1980, le film est un succès en Corée du Sud ainsi qu'à l'international, où il est présenté à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 2000.

Sur sa lancée, Lee Chang-dong attaque fort et délaisse un moment le politique pour ne s'occuper que de l'humain. Sa romance entre un attardé mental fraîchement sorti de prison et une handicapée physique dans Oasis en 2002 bouleverse le jury de la Mostra de Venise, qui lui remet notamment le Prix de la mise en scène. Consacré cinéaste, contre toute attente, il se lance dans l'action politique, puisque l'année suivante, il accepte le poste de ministre de la Culture dans le gouvernement du pPremier ministre Roh Moo-Hyun.

En 2007, Lee Chang-Dong poursuit sa vision acérée de l'humain et des rapports sociaux en tournant Secret Sunshine : l'acharnement des habitants d'un petit village contre une nouvelle venue aboutissant à l'assassinat tragique du fils de celle-ci. Une fois encore, ce film de Lee ne passe pas inaperçu à l'étranger, et son actrice Jeon Do-Yeon est couronnée du prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes 2007, festival dont il sera l'un des jurés en 2009. Les années suivantes, Lee Chang-dong se consacre à son métier de producteur, avec Never Forever de Gina Kim et Une vie toute neuve de Ounie Lecomte.

Park Chan-wook

Thirst, ceci est mon sang - Park Chan-wook Park Chan-wook s'intéresse au cinéma dès son enfance. Il s'inscrit en philosophie à l'université catholique Sogang de Séoul, où il fonde un cinéclub, le Sogang film community. Le film Sueurs froides d' Alfred Hitchcock le marque particulièrement. Diplômé, il commence à travailler dans le monde du cinéma et devient l'assistant de Kwak Jae-young, tout en faisant divers petits métiers afin de rassembler des fonds pour la réalisation de son premier long-métrage. Ce sera Moon is the Sun's Dream, un film de gangsters sur fond de prostitution, en 1992. Échec commercial au programme. Park se tourne alors vers la critique de cinéma, puis récidive en 1997 avec un deuxième film, The Trio, un portrait comique de trois hors-la-loi. C'est le début de sa collaboration avec son ami Lee Moo-young. Le succès n'est pourtant toujours pas au rendez-vous, et Park désespère.

Il attend deux ans avant de revenir à la réalisation et de livrer Judgement, un court-métrage inspiré d'une histoire vraie, qui sera sélectionné au Festival de Clermont-Ferrand. La reconnaissance internationale arrivera enfin avec son long-métrage suivant, Joint Security Area (2000). Ce thriller politique raconte l'enquête d'un agent de l'ONU sur le meurtre de deux militaires nord-coréens à la frontière entre les deux Corée. Le film est primé au Festival du film asiatique de Deauville.

Grâce à ce succès, le cinéaste peut enfin concrétiser un projet qui lui tient à cœur depuis longtemps, qu'il avait prévu d'intituler Vengeance is Mine. Ce sera finalement Sympathy for Mr Vengeance, premier volet d'une trilogie sur la vengeance. L'œuvre suit le combat jusqu'au boutiste d'un sourd et muet pour acheter le rein qui sauverait sa sœur en besoin de transplantation. Park a trouvé son style, qui s'affirme dans le deuxième volet, le célèbre Old Boy. Tirée d'un manga, cette histoire sombre voit un homme ordinaire se retrouver enfermé pendant 15 ans sans savoir pourquoi. Le film maintes fois récompensé reçoit entre autres le Grand Prix au Festival de Cannes.
Lady Vengeance clôt en 2005 la trilogie, avec le parcours d'une femme injustement accusée du meurtre un enfant, qui tente de se venger pour trouver le vrai coupable.

Entre ces deux derniers volets, il collabore avec le Hongkongais Fruit Chan et le Japonais Takashi Miike sur le film à sketches horrifique 3 extrêmes. Son segment Cut montre un réalisateur réputé ( Song Kang-ho) mettant en scène un film de vampires, être séquestré avec sa femme par un psychopathe.

Avec Je suis un cyborg, Park Chan-Wook se tourne vers un film plus léger, rappelant ses débuts avec The Trio. Dans cette comédie, une jeune fille bizarre est persuadée d'être un cyborg et s'électrocute pour recharger ses batteries. Envoyée en hôpital psychiatrique, elle y rencontre un jeune homme qui lui, croit pouvoir voler les âmes des gens.
Le réalisateur revient à ses premières amours avec Thirst, ceci est mon sang, qui est la concrétisation d'un rêve de presque 10 ans. Cette adaptation de Thérèse Raquin d' Emile Zola intègre les codes du genre du film de vampire avec l'histoire d'un jeune prêtre devenu vampire suite à une expérience médicale qui a mal tourné.

Park a récemment enfilé la casquette de producteur pour le prochain film de son compatriote Bong Joon-ho, Transperceneige, prévu pour cette année.


Park Chan-Wook, vers la rédemption ?

  • Park Chan-Wook, vers la rédemption ?Après une sanglante trilogie basée sur le thème de la vengeance, Park Chan-Wook change de ton et propose, avec Je suis un Cyborg, une comédie romantique acidulée et mélancolique, où la virtuosité de sa mise en scène reste indéniable.


  • Par Xavier Leherpeur (09/12/2007 à 10h09)
Après la violence de vos précédents films, cette fable poétique et décalée apparaît comme une vraie rupture de ton…
Il est vrai que j’en avais assez de faire des films violents, et que je ressentais le besoin de changement. Mais pour autant, Je suis un Cyborg, est une continuation naturelle de mon travail. Si l’on regarde ma filmographie et son évolution, la part du fantastique y est de plus en plus importante. De même que l’aspect «fable», qui était assez présent dans Lady Vengeance. Disons que ce nouveau film est l’expression, poussée à son maximum, de ces deux aspects.
Une ouvrière se prenant pour un robot, un jeune voleur de personnalités… Vos héros sont-ils l’expression de votre préoccupation face à une société coréenne de plus en plus déshumanisée ?
Effectivement. Au début du film, le personnage féminin travaille à la chaîne en usine. Tout est uniformisé, il n’y a aucune joie de vivre. Et cela reflète selon moi un certain aspect de la vie en Corée. En revanche, pour le personnage masculin, c’est plus universel. Il souffre d’un vide intérieur assez insupportable qui confine à la folie. Il a l’impression qu’il va disparaître de l’intérieur. Et pour compenser ce vide, il s’approprie le caractère de ceux qui sont en face de lui. Chaque fois qu’il a l’impression d’avoir dérobé une personnalité, il porte un masque qu’il juge en adéquation avec celle-ci. Il est vrai que ces deux-là se rejoignent dans leur quête d’une personnalité qu’ils ont soit oubliée, soit perdue.

L’asile psychiatrique est représenté de manière très poétisée…
Il n’a jamais été question pour moi d’aller dans le sens du réalisme, car cela ne m’intéressait pas. J’ai même refusé d’emmener mes acteurs dans une véritable institution médicale, car je ne voulais pas non plus de réalisme dans le jeu. En revanche, je leur ai demandé de se mettre dans la peau de jeunes enfants. Et l’asile autour d’eux a les allures d’un jardin d’enfants où tous les pensionnaires retombent en état d’infantilité.
Géographique, morale ou mentale, dans tous vos films, vos personnages traversent une frontière…
C’est effectivement l’un de mes thèmes de prédilection, lié à celui de la culpabilité inhérente à ce franchissement. J’ai longtemps cherché à comprendre ma fascination pour le thème de la culpabilité, et ce n’est que depuis quelques années que je crois en avoir saisi l’origine. Tout vient de ma jeunesse. En effet j’ai eu 20 ans dans les années 80, au moment où la dictature militaire s’achevait au prix de nombreux sacrifices et d'injustices. Ma génération ressent cette culpabilité de n’avoir pas pris part aux combats des étudiants, et de se l’être coulé douce pendant que d’autres se battaient pour la démocratie.
Votre écriture est caractérisée par le refus de la linéarité et son goût de l’accident, de l’absurde…
C’est selon moi une idée reçue de croire que les choses se déroulent selon la loi de cause à effet. C’est pourtant ce que l’on observe dans bon nombre de romans ou de films. C’est une arnaque. La vie est faite d’imprévus et il nous arrive sans cesse des choses dont nous ignorons les causes. J’essaie, à travers mon cinéma, de m’approcher de la vraie vie, faite d’imprévus et d’événements inexpliqués.
Vous travaillez actuellement sur un film de vampires…
J’ignore à ce jour quelle sera la forme du scénario, et même du film. C’est d’abord pour moi une façon de visiter à nouveau ce thème de la culpabilité car, la plupart du temps, un vampire est un homme devenu un «monstre» contre sa volonté, en subissant celle d’autrui. Passer de l’autre côté du Mal pour survivre est une souffrance inédite et originale, sur laquelle il m’intéresse de travailler.
On parle d’un remake américain de Old Boy. Qu’en pensez-vous ?
Je suis méfiant, évidemment, et je préférerais que les cinéphiles américains puissent découvrir l’original. Ceci mis à part, lorsque je vois ce que les scénaristes et Martin Scorsese ont réussi à faire avec Les Infiltrés, le remake du film hongkongais Infernal affairs, je me dis que si le projet tombe dans les bonnes mains, alors pourquoi pas…

Bong Joon-ho

Mother - Joon-ho BongGarçon solitaire, élevé par un père artiste et une mère angoissée, l'imaginaire du jeune Bong Joon-ho se façonne au rythme des images qu'il dévore à la télé. De Imamura à Hitchcock, il pioche tout ce qui se passe jusqu'à LA scène fondatrice : Charles Vanel surgissant sous les roues du camion conduit par Yves Montand dans Le Salaire de la peur d' Henri-Georges Clouzot. Une image qui ne va plus le lâcher. «Je me sentais coupable comme si c'était moi qui l'avais écrasé. J'en ai beaucoup souffert !», confie-t-il à Studio CinéLive.

Il faudra attendre 1995 pour que Bong Joon-ho caresse son doux rêve, en réalisant coup sur coup deux court-métrages : White Man tourné en 16 mm et Incohérence, une comédie noire doublée d'une critique acerbe de la société coréenne, qui révèle son sens de l'humour intraitable. De festival en festival, le jeune cinéaste se fait un nom et soulève l'enthousiasme de l'industrie cinématographique sud-coréenne avec son premier long, Barking Dogs Never Bite qui mélange savoureusement fantastique et comédie fantasque. L'emballement s'accroît en 2003 avec Memories of Murder, un thriller épatant sur un serial-killer qui sema la terreur dans le pays du matin calme à la fin des années 80. Plus de 5 millions de spectateurs se précipitent dans les salles coréennes pour assister à la naissance d'un grand. Nouvelle étape et non des moindres avec The Host, un film visqueux et effroyable, qui propose une satire des Etats-Unis et une vision originale de la famille. Bong Joon-ho réalise un segment de Tokyo! en 2008, aux côtés de Leos Carax et Michel Gondry. S'en suit Mother, un drame intimiste et puissant qui marque une collaboration étroite avec la célèbre actrice coréenne Hye-ja Kim (véritable icône en son pays), centré sur les liens profonds entre une mère castratrice et son fils qui se fait injustement inculpé d'un meurtre d'une jeune fille. Mother dénonce le système coréen et sa bureaucratie, partant du postulat «C'est dans les situations extrêmes que votre véritable instinct se réveille».

Dernier projet en date pour Bong Joon-ho : l'adaptation de la bande-dessinée française Transperceneige, qu'il conçoit comme un film synthèse. «Le scénario que j'écris en ce moment est dans la droite lignée de ce que j'ai fait jusqu'ici. Je mets des gens dans des situations extrêmes pour faire ressortir leur personnalité.» Avec Park Chan-wook pour producteur et un casting international, le résultat ne manquera pas de susciter notre curiosité. Vivement !


Kim Ji-woon

Le Bon, la Brute et le Cinglé - Ji-Woon KimAvec Park Chan-wook et Bong Joon-ho, Kim Ji-woon représente le renouveau du cinéma coréen, mêlant inventivité de la mise en scène et ferveur populaire.

Sa carrière, il la commence sur les planches, puis offre ses services de scénariste jusqu'au jour où il réalise son premier long-métrage, The Quiet Family en 1998, une comédie noire sur une famille propriétaire d'une auberge, dont les clients n'arrêtent pas de se suicider. Comédie toujours, côté catch cette fois avec The Foul King, sur un modeste employé de banque qui rêve de devenir catcheur professionnel. Sa participation aux films à sketches 3 histoires de l'au-delà lui donnera des envies de fantastique. Bien lui en a pris, puisqu'en 2002, c'est le succès avec 2 Soeurs, un film d'épouvantes sur deux soeurs jumelles hantés par un fantôme. Flirtant sur tous les registres avec une facilité déconcertante, Kim Ji-woon s'en prend au polar et s'en sort avec brio avec A Bittersweet Life. Un succès international qui ne fera que s'accroître avec l'emballant Le Bon, la Brute et le Cinglé, version orientale du Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone. Propulsés dans la Corée des années 30, on y suit trois hors-la-loi marchandant avec l'armée japonaise, les bandits russes et les Chinois. Pour ce faire, Kim Ji-woon s'offre les services des trois plus grandes stars du cinéma coréen : Song Kang-ho, Lee Byung-hun et Jung Woo-sung et enflamme le box-office coréen.

Dernier projet en date pour Kim Ji-Woon : le remake de la tragédie noire Max et les Ferrailleurs de Claude Sautet. On murmure que Clive Owen et Sienna Miller reprendraient les rôles de Michel Piccoli et Romy Schneider, pour un tournage qui devrait avoir lieu cette année à Philadelphie. Culotté.



Kim Jee-woon, bon, brut et cinglé

  • Kim Jee-woon, bon, brut et cingléAprès le film d’horreur ( Deux sœurs) et le gunfight ( A Bittersweet Life), Kim Jee-woon s’attaque cette fois au genre mythique du western. Et lance sur les rails un spectacle ébouriffant et dantesque, avec cette histoire de course au trésor sur fond de conquête de la Mandchourie dans les années 30. Accrochez-vous, ça décoiffe.

  • Par Xavier Leherpeur (15/12/2008 à 07h49)
Vous ne cessez, de film en film, de changer de genre. Vous vous attaquez cette fois au western, genre pourtant peu répandu en Asie.
Pour être tout à fait honnête, lorsque j’ai commencé à songer à ce film, je pensais même réaliser le tout première western de l’histoire du cinéma coréen. Puis en faisant quelques recherches approfondies, j’ai découvert que quelques-uns avaient été tournés à la fin des années 70. Mais il s’agissait la plupart du temps de séries B assez mal fichues et sans grand intérêt stylistique. De plus, ils avaient tous connu des échecs commerciaux, ce qui explique que personne ou presque ne s’en souvenait. Mais pour l’originalité dont je rêvais, c’était raté (rires).
Le titre du film (la traduction française est assez fidèle, ndlr) fait plutôt allusion au western-spaghetti et au cinéma de Sergio Leone qu’aux grands classiques américains. Etait-ce volontaire ?
Oui, tout à fait. D’abord parce que, en tant que cinéphile, je voue une réelle admiration à Sergio Leone. Et qu’ensuite je me sens plus proche des thématiques du western-spaghetti que des productions américaines. Dans le premier cas, il s’agit souvent de mettre en scène des héros dont les motivations et les agissements répondent à des valeurs humaines plus authentiques. De plus, je ne suis pas très amateur de l’idéologie véhiculée par les westerns hollywoodiens qui mettent la plupart du temps en avant des thèmes comme la vengeance ou le meurtre gratuit… En plus, l’intrigue y est souvent assez simpliste et repose presque toujours sur les mêmes rebondissements. Ce qui explique aussi sans doute pourquoi le genre n’a jamais vraiment pris ici où, culturellement, il ne correspondait pas au public coréen qui une fois qu’il a eu compris comment fonctionne la narration et le scénario, s’en est désintéressé. J’ai donc voulu miser sur tout autre chose et faire un film qui soit entièrement basé sur le mouvement, la dynamique de la mise en scène et la folie des personnages.
Alors que l’ère du numérique permet désormais toutes sortes de prouesses et de trucages, vous avez voulu tourner votre film le plus possible ‘à l’ancienne…’
Aujourd’hui encore, je me dis que je suis fou (rires). Pour vous donner un exemple, j’avais tellement envie d’être dans l’authentique que j’en avais même oublié que l’on pouvait faire disparaître les traces de chevaux par trucage numérique. Du coup, toute l’équipe les effaçait avec des balais entre deux prises, ce qui a régulièrement ralenti le tournage. Bien sûr, il y a des trucages dans le film, une bonne partie des intérieurs de la scène de l’attaque du train a été tournée en Corée alors que les extérieurs avaient été filmés en Chine. Mais il est vrai aussi que dès que l’on pouvait être dans le concret, j’essayais de m’en donner les moyens. C’est pour cela que nous avons tourné en Mandchourie dans des décors intacts, certes superbes, mais qui demandaient parfois une intendance et une logistique (comme des heures de marche à pied pour y accéder) auxquelles nous n’avions pas pensé. Il nous a fallu braver les éléments climatiques, les températures extrêmes, l’absence de routes…
Ce souci d’authenticité vous a poussé à demander aux comédiens d’exécuter eux-mêmes leurs cascades…
Il n’y a eu en effet aucune doublure, y compris pour les trois rôles principaux du film. Et nous n’avons eu recours qu’à très peu d’effets visuels. Nous avons tout tourné en live (rires). Et je suis sûr que cela contribue à la force du résultat final. Il y a même eu des bras cassés ( Jung Woo-sung qui interprète le Bon, ndlr), mais rien ne les a empêchés de continuer à tout jouer par eux-mêmes.
Vous réunissez à l’écran trois des plus grandes stars du cinéma coréen : Jung Woo-sung (Musa, la princesse du désert), Lee Byung-hun (A Bittersweet Life) et Song Kang-ho (Memories of Murder). Pour des raisons autant artistiques qu’économiques…
D’abord, effectivement, ce sont trois des meilleurs comédiens coréens du moment. Mais, comme toute star, il a été très difficile de les réunir sur un même plateau. Non pas pour des raisons d’ego, mais simplement d’emploi du temps. Comme ils sont très sollicités, trouver cinq mois en commun dans leur planning pour le film a été une première victoire. Ensuite il est certain que j’avais besoin d’un casting bankable, car le film est très onéreux pour une production coréenne.
Le film bénéficie d’un budget pharaonique pour la Corée, puisqu’il approche les 17 millions de dollars. Un énorme risque…
Qui m’a souvent empêché de dormir sereinement (rires). D’autant plus que la carrière d’un film en Corée repose avant tout sur son exploitation salles, car notre marché DVD est presque inexistant. La rentabilité du film était estimée à environ 6 millions et demi de spectateurs sur notre seul territoire, ce qui était loin d’être gagné. Mais le pari a été remporté puisqu’il a été vu au final par plus de 7 millions de personnes.

Kim Ki-duk

Locataires - Kim Ki-duk Kim Ki-duk, né en 1960, est un autodidacte au parcours atypique. Originaire d'un petit village de Corée perdu dans les montagnes, il arrive à Séoul à l'âge de neuf ans puis fréquente un lycée agricole. A 17 ans, il est obligé de quitter l'école pour travailler à l'usine, et s'engage ensuite dans la marine pour cinq ans. A son retour, le jeune Kim Ki-duk pense à devenir prêtre (il s'enferme dans un monastère pendant deux ans) mais part finalement en France en touriste. Il s'installe au Cap d'Agde pendant un an, et survit en vendant des portraits des passants. C'est en France qu'il pénètre pour la première fois de sa vie dans une salle de cinéma. Il est marqué par des films comme L'Amant, Le Silence des agneaux et Mauvais sang de Léos Carax.

De retour en Corée en 1993, Kim Ki-duk se lance dans le cinéma, d'abord par le biais de l'écriture de scénario. Trois de ses manuscrits sont repérés et récompensés. Il écrit et réalise son premier film, Crocodile, en 1996. Histoire d'un marginal qui récupère le corps d'une suicidée dans la rivière, le film passe inaperçu. Son deuxième long métrage, Wild Animals, est tourné en France avec Denis Lavant et Richard Bohringer, et met en scène la rencontre à Paris d'un peintre sud-coréen escroc et d'un nord-coréen voulant s'engager dans la légion étrangère. Là encore, le film est un échec au box-office coréen. Grâce à un concours de scénario, le réalisateur peut tourner en 1998 The Birdcage Inn, une amitié entre une prostituée et une étudiante, dans une petite ville portuaire. Le film lui ouvre les portes des festivals internationaux.

En 2000, L'Ile est son premier grand succès. Le film reçoit un bon accueil du public dans le monde entier mais est rejeté par la critique coréenne. Condensant les thèmes de prédilection du cinéaste (l'obsession de l'eau, la représentation de la cruauté), l'œuvre a des accents plus poétiques et fantastiques. Puis suit un film expérimental de 200 minutes avec 10 caméras numériques et 35 mm tournant en simultané : Real Fiction, racontant la vengeance d'un peintre contre tous ceux qui l'ont fait souffrir.

Après Adresse inconnue, Kim Ki-duk obtient enfin son premier succès commercial en Corée du Sud avec Bad Guy, descente aux enfers d'une étudiante entraînée par un chef de gang de Séoul muet. Le cinéaste coréen ne s'étant pas assagi, le film est soumis à controverse mais reste un succès populaire.

En 2002, il tourne Coast Guard avec la star Jang Dong-gun. Kim continue de sortir un film par an et livre en 2003 le très beau Printemps, été, automne, hiver... et printemps, où les saisons correspondent à diverses étapes de la vie d'un moine (le réalisateur interprète lui-même le personnage adulte dans la dernière partie).

En 2004, il met en scène l'histoire de Yeo-Jin et de son amie Jae-Young, une mineure qui se prostitue, dans Samaria. Le film reçoit la consécration au Festival de Berlin avec un Ours d'argent. Quelques mois plus tard, son histoire d'amour sans dialogues entre une femme battue et un squatteur, Locataires, rafle quatre prix au Festival de Venise 2004 dont le Lion d'argent pour sa fabuleuse mise en scène.

Son film suivant est L'Arc, centré sur l'histoire d'un vieil homme amoureux d'une jeune fille qu'il veut épouser mais qui tombe amoureuse d'un autre plus jeune.

En 2007, le cinéaste sort deux films à quelques mois d'intervalle, passés plutôt inaperçus. Time, autour de la chirurgie esthétique et Souffle, une histoire d'amour improbable entre une inconnue et un condamné à mort, présentée en sélection officielle au Festival de Cannes 2007. L'année suivante, il conclut cette trilogie avec un film sur la thématique du rêve, Dream, dans lequel un jeune homme s'éveille d'un rêve où il provoquait un accident de voiture pour se rendre compte que l'accident a réellement eu lieu. Le film sortira chez nous fin mars prochain.

Hong Sang-soo

Night and Day - Hong Sang-sooCinéaste marginal en son pays et encensé en France, Hong Sang-soo étudie le cinéma à l'université de Chungang avant de partir pour les Etats-Unis ou il reçoit son MFA du Art Institute de Chicago. Il part plusieurs mois à Paris pour étudier (expérience qu'il dépeindra dans Night and Day en 2008) et décroche un poste à la chaîne SBS dès son retour en Corée.

Depuis ses débuts en 1996, Hong Sang-soo apparaît plutôt en marge de la profession : ses films, aux parfums ordinaires, révèlent sous la glace des vérités très dérangeantes sur le comportement et les relations humaines.

En 1996, il réalise Le Jour ou le cochon est tombé dans le puits, qui gagne immédiatement trois prix : aux festivals d'Asie Pacifique, de Rotterdam et de Vancouver. Après il réalise Le Pouvoir de la Province de Kangwon, également plébiscité par la profession, et en 2004 : La femme est l'avenir de l'homme est nominé pour la Palme d'or à Cannes.

Parallèlement à cette carrière, Hong Sang-soo devient professeur de scénario à l'Université nationale coréenne d'arts et lance sa propre société de production en 2004 : Jeonwonsa...

Quand on regarde les films de Hong Sang-soo, on est projeté sur deux terrains à la fois : d'abord l'aspect plutôt banal et improvisé des situations qui ont l'air de simples conversations de café. Puis d'un autre côté, une conception très carrée et répétitive des plans, qui transforme la réalité construite a priori. Sang-soo l'explique : « Les gens pensent que je fait des films sur la réalité, le quotidien, c'est faux. Je les fais sur des bases totalement inventées. » En tant que scénariste et réalisateur, il adopte un ton fluide et spontané qui cache la partie très structurée de son travail. Il se laisse ainsi plus de champ libre, pour modifier un plan d'après un détail, plutôt que par rapport au script. Ses thèmes de prédilection sont les relations humaines et surtout l'incapacité des gens à vraiment se parler ou à communiquer, en exemple : la relation qu'entretiennent Joong-rae et Moon-suk dans Woman on the Beach. Pour traduire cet état des choses il utilise souvent l'humour noir, à travers des scènes d'orgies alcooliques ou sexuelles. Et le spectateur est souvent mal à l'aise. Pour Sang-soo : « Je suis dans un processus de négation. Je pars souvent d'une situation banale, voire stéréotypée dans laquelle quelque chose m'attire fortement. Et puis je la découpe en plusieurs fragments qui sont en conflits. Alors j'essaye de trouver le fil conducteur pour que tout ceci ne fasse qu'un... »

Les divagations de Hong Sang-soo

  • Les divagations de Hong Sang-sooA la marge dans son pays et encensé en France, Hong Sang-soo nous fait gré de deux de ses films cet été. Des divagations amoureuses d'un jeune peintre entre Séoul et Paris dans Night and Day, à une légèreté mélancolique dans Woman on the Beach, la rencontre avec ce cinéaste atypique nous entraîne dans les méandres de son cerveau. La tête dans les nuages, à l'image de son héros de Night and Day. Et si tout ceci n'était que pure fiction ?

  • Par Laure Croiset (23/07/2008 à 15h46)
Comment le quotidien intervient dans votre processus de création ?
Certaines fois, dans la vie courante, il se passe des choses intéressantes qu'on a laissées de côté. Puis un jour, ces choses deviennent des souvenirs. On pose alors une question. Et avec cette question, on essaie de trouver une réponse dans le quotidien et si on ne trouve pas la réponse, on tente de comprendre. Et c'est cela qui peut devenir la matière de ma création. Pour Night and Day, je suis parti d'une situation de mon quotidien : je vis à New York. J'appelle ma femme. Pour moi, c'était le jour. Pour elle, il faisait nuit.

Comme dans Le Jour où le cochon est tombé dans le puits, on retrouve un effet miroir de la réalité. Pour vous, être cinéaste est un moyen de vous positionner dans la réalité ?
Comme vous le savez, il n'existe pas une seule forme de réalité. Chacun d'entre nous a sa propre réalité. Même si vous et moi, on parle pendant des heures de cette machine (pointant du doigt le magnétophone), notre perception sera différente. Même si tu essayes de m'expliquer ce que tu ressens, tes mots ne permettront pas d'exprimer ce que je ressens. Nous vivons tous dans un monde différent. Nous utilisons des mots pour exprimer ce qui est intraduisible. Quand je vous demande de me donner ce stylo, là, nous partageons. Nous avons l'impression de vivre dans le même monde. Le monde peut garantir une infime communication entre les gens. Tout ça pour dire que la réalité n'existe pas. Nous vivons chacun dans notre petit monde. Mais nous sommes tous dans le même bateau. Et je peux vous assurer qu'il n'existe pas qu'une forme de réalité. Ce que nous avons, c'est l'expérience. Nous vivons pour ça, nous tombons pour ça et ensuite, nous mourons. C'est là-dessus que nous pouvons commencer à avoir une interprétation. Même si l'interprétation de cette chose ne représente pas cette chose.

Mais il y a une dimension de partage avec le spectateur lorsque vous faites un film. Comment se passe cette interaction ?
Pour partager ton expérience, tu as besoin de quelqu'un d'autre pour qu'il interprète cette chose. Mais cette autre personne aura une vision limitée. J'essaye de traduire cette chose par le biais d'un film, d'un mélodrame, d'une peinture, peu importe. J'essaye de partir de là. Ce que je fais, je le fais avec mon antenne. Juste avec des petits segments de vie, que j'appelle des situations. Par exemple, je me suis rendu compte que quand on va au cinéma, pendant l'espace d'une minute, on se prend pour un héros. Et là, tu te mets à fumer comme John Wayne et à parler comme lui. Le cinéma, c'est l'obscurité totale, ce grand écran, cet espace. Tout le monde est influencé par cette étrange expérience qui a eu lieu dans la pénombre. C'est pour ça que dans mon cinéma, ce qui prime, c'est l'intuition. Je pars de là. Ensuite, je pense à la forme que je pourrais lui donner. Puis, j'y glisse tous ces détails qui me viennent du quotidien pour en faire un film.

Avant de commencer le tournage, vous n'avez que 30 % de votre scénario. Les dialogues, vous les écrivez le matin-même, en vous inspirant du décor, de l'ambiance du jour... Comment se passe ce processus de création ?
Je pense que chaque réalisateur laisse une part à l'improvisation, aux changements de dernière minute. Chaque tournage est un processus. Tous les jours, nous devons exécuter quelque chose pour livrer un produit final. Dans tout ce processus, chaque chose est mouvante. Et chaque membre de l'équipe a une approche différente du réalisateur. Donc quand on transfère l'idée d'une personne à une autre, elle varie de 6 % à chaque étape. Je tiens à ce que chaque personne de l'équipe garde sa créativité. Chaque personne a sa propre idée et peut l'exécuter. C'est mon tempérament. Par exemple, quand je gagne le lieu de tournage, je regarde ce qui se passe, comment l'actrice arrive. Je peux percevoir un changement sur son visage. Je peux ressentir que la veille, elle s'est disputée avec son mari, même si je ne sais pas précisément si cette dispute a eu lieu. Je m'inspire alors de ce visage, de ces traits pour l'intégrer au scénario. Je n'ai pas besoin de savoir exactement pourquoi, et elle n'a pas besoin de savoir ce que j'utilise de sa propre expérience. Ma seule impression me suffit.

Laissez-vous une part d'improvisation à vos acteurs ?
Je n'envisage pas les acteurs autrement que comme des personnes. J'écris donc le script le matin-même, en m'inspirant d'eux, de leur être, de ce qu'ils dégagent. Parfois, les acteurs pouvaient être embarrassés par cette méthode. Mais quand nous sommes rentrés en Corée, ils ont vu le résultat et ont été soulagés. Sur le tournage, tout était fluide. Les dialogues leur correspondaient parfaitement. Donc pour eux, le travail était fait. Ils n'avaient plus besoin d'improviser.

Pourquoi avoir choisi Paris comme lieu de fiction ?
Paris, j'y ai vécu pendant un an. Je me suis également installé à New York, qui était, pour vous l'avouer, ma première idée. J'avais besoin d'une ville loin de la Corée. J'ai alors hésité entre New York, Paris et San Francisco. New York était une trop grande ville. San Francisco, je n'y ai pas habité, donc je ne ressentais pas grand-chose sur cette ville. Paris était donc mon seul choix possible. Mais vous savez, tout ce que je viens de dire n'a aucune importance (rires).

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